L’art comme acte de résistance au terrorisme22 mars 2019
Auteur : Alice ZanettaSupport : Le Devoir
L’art n’est pas accessible partout dans le monde, et même lorsqu’il est à notre portée, il ne faut pas oublier son rôle salvateur dans une société aux prises avec le terrorisme. Ce constat lie les documentaires True Warriors et Une joie secrète, présentés au Festival international du film sur l’art (FIFA). Rencontre.
Décembre 2014 à Kaboul. Une troupe de théâtre afghane est victime d’un attentat suicide perpétré par un taliban de 17 ans. Le sujet de la pièce ? Dénoncer la violence quotidienne du terrorisme en Afghanistan. True Warriors (Les guerriers de l’art), réalisé par les journalistes Niklas Schenck, Ronja von Wurmb-Seibel et Lukas Augustin, donne la parole aux acteurs et aux musiciens présents lors du drame.
« Le titre True Warriors vient de Leena Alam — célèbre actrice afghane féministe —, qui dit que les artistes sont les véritables combattants : ils risquent leur vie pour faire évoluer la société et personne ne les considère vraiment. En Afghanistan, l’art est mal vu », raconte au Devoir la reporter qui a vécu plusieurs années dans le pays.
Face à la caméra, à huis clos, les artistes livrent leur vision de l’attentat et de la place controversée, pourtant nécessaire, qu’occupe l’art dans la société afghane. « Nous, les Afghans, nous avons besoin d’exprimer nos peines, nos émotions, nos idéaux, nos rêves, explique le Dr Sarmast, fondateur d’une école de musique et témoin de l’attaque. Les arts sont des outils d’interaction. »
Même si les artistes [dans True Warriors] risquent leur vie, ils ne peuvent pas arrêter de faire de l’art, c’est leur manière à eux de pouvoir changer la société
Loin de les arrêter dans leur pratique artistique, l’attaque a renforcé les convictions de la troupe : l’art peut et doit contribuer à la paix en Afghanistan.
Ainsi, le groupe réuni a refait surface pour la première fois avec une pièce qui reconstituait le lynchage public de Farkhunda. Cette femme afghane avait été accusée, à tort, d’avoir brûlé le Coran, puis tuée en plein centre de Kaboul.
Danser chaque jour
« J’ai eu envie de faire quelque chose face à cet acte de barbarie ; même si tout pouvait paraître dérisoire, il fallait vivre. Mes outils, ce sont la danse, la performance », explique de son côté Nadia Vadori-Gauthier, à l’origine du projet Une minute de danse par jour.
Après les attentats de Charlie Hebdo, la chorégraphe a décidé de publier une vidéo d’une minute de danse chaque jour sur les réseaux sociaux : « Ces minutes font désormais partie de ma vie. Je prends cinq heures par jour pour les réaliser, depuis quatre ans, sans avoir sauté une seule journée. »
Ces danses quotidiennes se déroulent dans tous les lieux qu’elle traverse : à une fontaine, lors d’un marathon, au bureau de vote, sur un banc public, au cours d’une manifestation… Une joie secrète, réalisé par Jérôme Cassou, suit le fil de ses pérégrinations.
Sa démarche va désormais au-delà de la tragédie du 7 janvier. « La violence n’est pas forcément visible comme un acte terroriste, elle s’exprime autant dans l’intime que dans la société en général. Il y a besoin d’un espace où le sensible peut voyager d’une personne à l’autre sans s’arrêter aux rôles ou aux identités », plaide-t-elle avec l’idée que la danse peut créer ce lien.
« Je pense qu’une petite action, si on la répète, peut finir par avoir un grand effet. La phrase de Nietzsche “Que l’on estime perdue toute journée où l’on n’aura pas dansé au moins une fois” m’a aussi inspirée. Je me suis dit que j’allais danser pour que chaque journée compte, pour qu’aucune d’elles ne soit perdue au sens propre », se remémore l’artiste.
Les actes terroristes l’ont aussi amenée à remettre en question son rapport à la pratique artistique. « Avant, je dansais en studio avec d’autres danseurs pour l’acte de danser en lui-même. Mais là, c’est un engagement différent avec la minute de danse. Que peut la danse face à la dureté du monde ? Peut-elle créer du lien en dehors des espaces scéniques ? »
Ouvrir de nouvelles perspectives
Tout comme la troupe de théâtre afghane, Nadia Vadori-Gauthier pense que l’art est essentiel dans une société où le lien social s’effrite par la violence.
« L’art et la danse sont des vecteurs de résistance pour inviter à voir les choses autrement et à vivre ensemble », estime la chorégraphe française. « Une nation sans culture, c’est une nation qui meurt », soutient quant à lui le Dr Sarmast dans True Warriors.
« Même si les artistes [dans True Warriors] risquent leur vie, ils ne peuvent pas arrêter de faire de l’art, c’est leur manière à eux de pouvoir changer la société. À travers leurs spectacles, ils s’adressent souvent aux jeunes parce qu’ils veulent leur montrer qu’il est possible de vivre d’une autre manière, dans une société en paix. Ce qu’ils n’ont jamais connu parce que leur pays est en guerre depuis une quarantaine d’années », conclut la coréalisatrice, Ronja von Wurmb-Seibel.