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ƒƒƒ article de Maxime Pierre
Nadia Vadori-Gauthier danse une minute par jour. Une minute de résistance culturelle face à l’absurde. Pendant le confinement, alors que la culture est officiellement déclarée inessentielle, que les musées se voient interdits, elle danse dans ces lieux déserts parmi les œuvres orphelines. C’est dans cette expérience qu’elle découvre le « prix de l’essence » non pas au sens de la gazoline mais de la culture. Inspirée par cette expérience, la chorégraphe a ainsi inventé le projet d’un parcours dansé au milieu du Musée d’Arts Modernes de la Ville de Paris, médiatisant l’expérience des œuvres par la danse.
Il s’agit d’« impromptus », non pas de simples improvisations : la chorégraphe et ses danseurs se sont imprégnés de chaque œuvre. Nadia Vadori-Gauthier décrit sa création comme un processus « sismographique » : écrire par le geste les vibrations des œuvres, les interpréter puis les écrire et les transmettre. Dans un parcours dans les collections permanentes du musée, les danseurs interprètent successivement l’univers sensoriel transmis par les tableaux… Pour chaque moment du parcours, les danseurs ont choisi des sons – mots et musiques, transmis par une enceinte mobile – en accord avec les œuvres. Les artistes ne cherchent pas à s’imposer : ils sont littéralement mus par les œuvres qu’ils réinterprètent. Car chaque tableau impose un type de langage différent, des rapports humains, des sentiments, des rythmes. Le danseur se fait médium : il capte les esprits multiples que le tableau nous transmet.
Face à l’énergie formidable des grandes toiles de Robert Delaunay, les corps se mettent ainsi au rythme de la modernité et de l’énergie que la géométrie colorée impose. Les néons de Fontana appellent tout naturellement des mouvements de liberté enroulés et spiralés. Les œuvres figuratives impliquent un plus grand mimétisme : la danseuse, devant la Femme à sa toilette (1934) dénude une épaule. Face à la Promenade du dimanche au Tyrol(1921-1922) de Jean Fautrier, les danseurs composent une photo de famille en mouvement. Mais les œuvres communiquent également des rapports spatiaux : les énergies éloignent, disjoignent ou rapprochent. Figure bleuede Jean Hélion (1935-1936) impose d’abord son langage à Margaux Amoros rejointe bientôt par Liam Warren. Et soudain, par le corps en tension des danseurs, l’œuvre se dénoue : moment magique, où dans le tableau nous voyons apparaître les deux corps. Un peu plus loin, les danseurs se séparent : alanguie au sol, en écho au Nu couché à la toile de Jouy de Foujita (1922), Margaux Amoros qui domine le trio par sa grâce et sa beauté, s’enroule au long des marches de l’escalier, pour ressurgir aux côtés d’Anna Carraud et et de Liam Warren devant le Paravent aux ours blancs de Louis Midavaine (1932) pour former avec eux un trio d’oursons joueurs.
Indéniablement, la chorégraphe et ses danseurs changent notre expérience du musée. Cette humilité réceptive devant ce qui les entoure est, comme le confie Nadia Vadori-Gauthier, un geste « écologique » : être possédé par le monde plutôt que de le posséder. Ne pas chercher à être mais simplement à appartenir. À l’époque des narcissismes et des individus atomisés, il est de fait urgent de se reconnecter aux autres, à la culture, à notre environnement. Pour cela « il nous faudra beaucoup d’amour », une grande patience et une grande force d’âme, assurément. Nous pouvons compter sur la compagnie de Nadia Vadori-Gauthier pour nous y aider.
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Il nous faudra beaucoup d’amour (Impromptus chorégraphiques pour trois danseurs, des œuvres et des visiteurs), chorégraphe Nadia Vadori-Gauthier
Danseurs : Margaux Amoros, Anna Carraud, Liam Warren
Compagnie : Le Prix de l’essence