Attentats de Paris : la danse par-delà la violence8 janvier 2016
Auteur : Baudouin EschapasseSupport : LE POINT
Le 14 janvier, cela fera un an que Nadia Vadori-Gauthier danse chaque jour en réaction aux attentats de « Charlie ». Un film revient sur son projet.
Dans une gare, dans un avion, devant le Bataclan, dans le désert, dans une rivière, sous la pluie, dans le vent, de jour, de nuit… Nadia Vadori-Gauthier danse une minute chaque jour depuis un an. Fondatrice de l’association Le prix de l’essence (preuve s’il en était besoin qu’elle ne se prend pas au sérieux), cette artiste inclassable est convaincue que l’art peut réparer les âmes. N’a-t-elle pas consacré sa thèse de doctorat, au carrefour de la danse, du théâtre et des arts plastiques, aux « processus somatiques de création » ?
Son projet chorégraphique est né « comme une évidence » au lendemain des attentats de Charlie. « Cette idée de danser quotidiennement et de poster ces moments sur le Net m’apparaissait comme une réponse aux violences de janvier 2015 », explique cette Franco-Canadienne dont l’accent chantant trahit des origines vénitiennes et hongroises.
La chorégraphe et danseuse a commencé par un solo de danse, en survêtement et bonnet, le 14 janvier 2015 dans la rue, devant chez elle. « Mon intuition était simple. J’envisageais ce projet de performance quotidienne comme une action de résistance poétique », confie-t-elle en souriant. Pour conjurer les attaques contre Charlie, contre les forces de l’ordre mais aussi contre l’Hyper Cacher, elle s’est jetée à corps perdu dans une sorte de journal intime filmé et dansé.
Persuadée, comme Nietzsche, qu’est « perdue toute journée où l’on n’aura pas dansé au moins une fois », convaincue comme le dit le proverbe chinois que « goutte à goutte l’eau finit par traverser la pierre » et « qu’une action même minime peut finir par avoir un grand effet si elle est répétée », elle a tenu bon. Même lorsque les violences ont redoublé dans la capitale, le 13 novembre dernier.
En ville comme ici dans le désert du Nevada, Nadia Vadori-Gauthier se met en scène dans de courtes séquences filmées. © Nadia Vadori-Gauthier
Publiées sur Internet, les courtes vidéos de ses interventions dans les lieux les plus incongrus (fontaines, trains, écoles, manifestation de rue et même colloque d’anthropologie) donnent aujourd’hui lieu à un film, d’une trentaine de minutes, diffusé jusqu’à la semaine prochaine, chaque jour dans un endroit différent et chaque soir dans un montage inédit. Suivies d’échanges avec le public et, parfois, d’une performance, ces projections ont commencé au centre Micadanses, dans le Marais, en présence de l’artiste en résidence, Myriam Gourfink, et à l’université Paris 8 (où Nadia Vadori-Gauthier a été formée), elles se sont poursuivies au Silencio et continueront, dans les jours qui viennent : au Point-Éphémère, au Palais de Tokyo, au Collège des Bernadins et, pour finir, au théâtre de Gennevilliers le 14 janvier prochain.
« La danse est un moyen de communication fabuleux pour rétablir le contact entre les êtres. Or, c’est de cela qu’il s’agissait dès le départ : permettre, grâce à mon moyen d’expression, d’agir à mon niveau pour combler ces failles, ces interstices, ces frontières qui séparent les hommes », analyse la chorégraphe. Nadia Vadori-Gauthier envisage aujourd’hui, avec regret, de devoir un jour cesser de se filmer chaque jour. « Cela me prend trop d’énergie », reconnaît-elle.
Elle examine trois possibilités : continuer de danser mais avec une go-pro pour filmer la manière dont ses gestes sont perçus par son environnement, transmettre le flambeau à d’autres danseurs (ce qu’elle a commencé à faire sur sa page Facebook en invitant les internautes à poster de courtes vidéos personnelles). Ou encore tout arrêter et passer à tout autre chose. Elle n’a pas encore pris sa décision.
En attendant, elle continue de mettre en ligne scrupuleusement, et avec la régularité d’un métronome, ses petits clips. Comme autant de ponctuations apaisantes. Les 359 spots de danse qu’elle a déjà réalisés, avec ou sans musique, sont de toute beauté. Ils constituent des éclats de vie qui sont aussi et surtout des bulles d’oxygène pour supporter la brutalité des temps présents et les tourments du monde. Que Nadia Vadori-Gauthier en soit ici remerciée.