Après Charlie, une danseuse urbaine entrée en résistance13 March 2018
Author : Naly GérardMedium : La Vie
Depuis 2015, Nadia Vadori-Gauthier filme de courtes performances chorégraphiques qu’elle poste sur Internet. Elle vient de publier un livre sur son aventure.
Chaque jour, sans exception, Nadia Vadori-Gauthier danse, dans la rue, à la bibliothèque ou au supermarché, sous la pluie ou sous la neige, avec des passants ou seule. Chorégraphe, pédagogue et uni- versitaire, elle a commencé ce rituel après l’attentat contre Charlie Hebdo. Pour célé-brer la force du réel et de la rencontre, combattre les dogmatismes. Un livre, Danser/Résister (Textuel), témoigne d’un engagement artistique au long cours.
LA VIE. Une minute de danse par jour dure depuis le 14 janvier 2015. Pourquoi continuer ?
NADIA VADORI-GAUTHIER. Le soir de l’attentat contre Charlie Hebdo, quand j’ai décidé de faire chaque jour une danse, de la filmer et de la mettre en ligne, je ne savais pas combien de temps j’allais tenir. À la 500e danse, je me suis rendu compte que je faisais l’archive d’une époque. J’ai donc décidé d’aller jusqu’à la 1001e, c’est-à-dire jusqu’au 10 octobre 2017. Mais depuis, je continue. Cette minute de danse s’est installée dans ma vie. Je ne m’impose plus de mettre la vidéo en ligne le jour même avantminuit.J’attendsparfoisplusieurs jours. C’est devenu une pratique régulière, artistique et même spirituelle. Je ne suis pas croyante mais ce moment de relation entière et directe au réel revêt une dimension sacrée : je me connecte à un champ vibratoire commun.
Comment sont accueillies ces milliers de danses dans l’espace public ?
N.V.-G. En général, je danse sans prévenir les passants. Il y a un moment d’incertitude où les gens se demandent ce qui se passe. Souvent, ils ne réagissent pas. Presque toujours, il y a une rencontre. « Goutte à goutte, l’eau finit par transper- cer la pierre », dit le proverbe chinois qui m’a inspirée. Dans un monde qui se dur- cit avec des cloisonnements identitaires,
des préjugés, des failles entre nous qui s’agrandissent, la minute de danse est une goutte d’eau qui permet d’habiter les interstices du quotidien, d’y inviter la douceur,lesilence,lasensation.Elleouvre un espace inattendu de partage. Grâce à elle, j’ai vécu des relations avec des incon- nus, au-delà de leur fonction sociale, de leurs origines, de leur âge. L’espace d’une minute nous avons partagé quelque chose de l’ordre du rêve. J’ai été marquée par une danse avec trois jeunes migrants, par une autre avec des apprentis en métal-lurgie. Chacune est gravée en moi. Je ne vis plus les choses de la même façon. Mon corps est inséparable du monde, comme entrelacé avec lui.
Après les vidéos, vous avez choisi d’immortaliser votre démarche dans un livre. Pourquoi ?
N.V.-G. Le livre est non seulement la trace d’un geste poétique mais une façon
de parler d’enjeux qui me sont chers. C’était nécessaire car les internautes peuvent « consommer » ces vidéos qui paraissent parfois ludiques ou légères, sans comprendre le sens de ma démarche. Je ne cherche pas à réaliser un bel enchaînement mais plutôt à éta-blir une relation avec ce qui m’entoure. Je compose le mouvement instantanément suivant mes états intérieurs et mes sensations.
Selon l’actualité aussi : j’ai dansé par rapport au changement climatique, aux droits des femmes, à l’élection de Trump… Je traduis tout cela dans mon corps, comme un sismographe.
Avec cet ouvrage, je souhaite inviter les lecteurs à partager mes questionne- ments sur le monde dans lequel on veut vivre, sur comment vivre ensemble. Et je prépare un film documentaire sur le projet. Ce que je ferai ensuite je ne le sais pas encore.